La Trêve : Bref essai critique d'une série belgo-belge

 

Offrir une synthèse analytique et critique d'une série (qui en est à sa 3e saison) est loin d'être une sinécure étant donné le nombre d'heures de visionnage sur lesquelles peut s'étendre une potentielle analyse de l'oeuvre cinématographique. Néanmoins, cette difficulté semble s'évanouir si, au lieu de se perdre dans le dédale de la trame narrative aux multiples rebondissements et retournements de situation, l'on se concentre sur les thèmes majeurs qui structurent la série et lui donnent cette saveur aigre-douce si particulière qui en a assuré le succès.

 

Indéniablement, La Trêve est l'une des meilleures séries qu'ait jamais produites le cinéma belge. En témoigne son succès à l'étranger, notamment en France. N'avez-vous jamais remarqué que les téléviseurs de notre Vieux Monde sont littéralement abreuvés par ces insipides séries policières américaines ?  Si vous en avez marre des détectives et policiers super héros américains, qui résolvent affaire criminelle sur affaire criminelle, si vous en avez marre de cette daube outre-atlantique, qui sent le soft power américain et la propagande néo-impérialiste états-unienne, alors même que, en réalité, leurs policiers dégomment sans vergogne des blacks innocents parce qu'ils ne réservent pas à ces derniers le même respect qu'à des blancs, alors La Trêve est pour vous.

 

Cette série belgo-belge rompt avec les stéréotypes de l'inspecteur invincible et offre un héros qui n'en est pas un. Cet anti-héros est éminemment humain, avec ses failles et ses blessures. L'inspecteur Yoann Peeters, magistralement interprété par l'acteur belge Yoann Blanc, est mentalement détraqué et traumatisé par une bavure policière durant laquelle sa femme est morte lorsqu'ils travaillaient ensemble à Bruxelles. Le poids insupportable de la culpabilité ronge l'inspecteur Peeters, tandis que l'entoure une aura paradoxale d'admiration pour ses indéniables qualités de détective mêlée à du mépris pour ses méthodes d'investigation peu orthodoxes. 

 

À la suite de cette bavure dont il ne se remettra jamais, l'inspecteur Peeters est rétrogradé et muté dans les confins ardennais du petit Royaume de Belgique qu'agitent une série de meurtres à résoudre. Ces affaires criminelles offrent aux scénaristes le prétexte idéal pour peindre une fresque satirique de la société postmoderne. La campagne n'est plus le havre de paix à l'abri des vices de la ville. Drogue, sexe, violence, débauches, soirées confidentielles sadomasochistes, libertines ou échangistes, policiers ripous, corruption politique, fraudes, racisme, viols, ... animent forêts et rivières, granges et demeures aristocratiques rurales. Il en ressort une vision pessimiste de l'Occident postmoderne. L'ambiance de déclin généralisé est proche d'une esthétique houellebecquienne, voire d'une réflexion sociétale d'inspiration spenglérienne. 

 

Le défilé quasi ininterrompu de la dépravation humaine dans une société à la pointe de la modernité, qui contraste pourtant avec une nature nordique, embrumée et crépusculaire, à laquelle se prête bien la forêt ardennaise, fait de La Trêve une sorte de pulp-fiction à la sauce belge dont les paradoxes et contradictions amènent des nuances nouvelles au genre policier. La belgitude de la série transparait davantage durant certaines scènes où les personnages réagissent de manière totalement détachée, à la limite de la dérision et de l'absurdité, face à des faits d'une gravité pourtant extrême. On pourrait aussi voir dans la fracture identitaire des personnages, mais aussi dans le mal-être collectif de la société mise en scène, le reflet d'une identité postmoderne en déconstruction.

 

La série accroche donc par cette atmosphère globale interlope. Elle maintient aussi l'attention du spectateur en ne multipliant pas à outrance le nombre d'affaires à résoudre, ce qui augmente la tension narrative et accroît le suspense. Les scénaristes ont habilement offert aux spectateurs de fausses pistes et des intrigues secondaires qui permettent de faire patauger l'enquête, laquelle, avec l'inspecteur Peeters aux commandes, est toujours un vrai bordel policier. En outre, ce dédale narratif permet de faire contribuer chaque personnage, aussi secondaire soit-il, au déroulement de l'intrigue. 

 

Le titre de "Trêve" est particulièrement bien choisi, car, au contraire d'une paix véritable, la trêve n'est qu'une interruption momentanée et partielle des hostilités. L'inspecteur Peeters, par ailleurs en conflit intérieur quasi permanent, n'aura que de brefs répits qui ne le laissent de toute manière jamais indemne, au même titre que la gestion toujours chaotique des affaires criminelles dont il a la charge ou dans lesquelles il s'implique légalement ou illégalement. La Trêve est donc une remarquable mise en scène de l'anti-héros postmoderne pour lequel il n'y a de salut que dans la souffrance.