Post Partum : la critique

 

Réalisateur : Delphine Noels

Maison de Production : FraKas Productions

Acteurs principaux : Mélanie Doutey, Jalil Lespert et Françoise Fabian 

Genre : Drame / thriller pscyhologique

Date de sortie : 2012

Durée : 95 min.

Langue : Fr.

 

 

 

I. Résumé de l'intrigue

 

Un jeune couple de vétérinaires, Luce et Ulysse, attendent leur premier enfant, une fille, Rose. La vie leur sourit et de beaux jours les attendent le long de la côte atlantique où ils ont installé leur clinique vétérinaire. Luce accouche. Avec son enfant, elle ne sait comment s'y prendre. Elle n'en fait pas assez ou trop, agit à tort ou néglige. Luce panique devant cet être fragile et innocent qui pleure. Au bord du gouffre, Luce doit affronter des blessures qui paraissaient pourtant profondément enfouies. Le récit n'est donc qu'un prétexte à l'exploration de dynamiques humaines plus profondes. Le film immerge le spectateur dans les tréfonds d'une âme humaine en souffrance.

 

II. Analyse

 

II. 1. Le thème principal: le "post partum"

 

Sans surprise, Post Partum traite du .... post-partum. Le rouge et le noir ainsi que l'expression d'impuissance et de désespoir de Mélanie Doutey sur la jaquette du DVD ne font planer aucun doute sur le caractère sombre du film, lequel met en scène une fracture psychologique humaine. 

 

Le thème principal du film ne peut donc être plus limpide : le post-partum survenant après l'accouchement comme l'indique l'expression latine consacrée, laquelle fait référence à la période entre l'accouchement et le retour des premières règles. Il s'agit d'une période cruciale de remaniement physiologique, hormonal et psychologique pour la mère : premiers contacts avec le nouveau né, installation de la relation mère-enfant, etc. Les risques psycho-affectifs pour la mère sont grands. Les symptômes de la dépression post-partum (DPP) ou puerpérale (du lat. "puer" signifiant "enfant") sont bien connus : humeur dépressive, perte d’intérêt, perte ou gain de poids, insomnie ou hypersomnie, agitation ou ralentissement psychomoteur, fatigue ou perte d’énergie, sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive, diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer, perte des repères, hallucinations, paranoïa, pensées de mort ou idées suicidaires. Le film a pour noyau cette tourmente psychologique.

 

Dans la culture judéo-chrétienne, la venue d'un enfant est systématiquement présentée comme un "cadeau du ciel", un "don de Dieu", avec pour archétype, la naissance de l'Enfant Jésus. C'est donc à un sujet largement tabou auquel s'attaque la réalisatrice Delphine Noels. Elle choisit de présenter la naissance d'un enfant comme un cataclysme destructeur pour la mère. À cet égard, les thèmes connexes du post-partum, la vie et la mort, réalités indissociables et complémentaires de l'existence humaine, sont abordés dès les premières scènes du film. Luce, elle-même en fin de grossesse, s'efforce de mettre bas un veau. Elle n'y parvient pas. Pourtant elle tire de toutes ses forces sur les pattes du veau. La vache souffre. Ulysse arrive à la rescousse et fait sortir le veau à l'aide d'une vêleuse. Dans le cabinet vétérinaire, Luce doit faire saillir une chienne. Elle masturbe le chien, dont le maître s'exaspère. Rien n'y fait. La saillie ne se fera pas. C'est à ce moment que Luce perd les eaux. Elle met un terme à la consultation. Les maîtres s'éclipsent avec leurs chiens. Luce, au lieu de se précipiter à l'hôpital, temporise. Elle a encore une consultation : une euthanasie. Luce, sur le point de donner la vie, donne en réalité la mort. Ces prolégomènes symboliques plantent le décor. D. Noels, avec une économie de moyens et une puissance évocatrice, renforcée par un cadrage serré et agité, plonge le spectateur au cœur de la procréation, l'enfantement et la mort, une triade envisagée sous l'angle de la frustration : la vache n'a pu mettre bas naturellement, la procréation n'a pas lieu par impuissance, indifférence ou dégoût, enfin, la mort est triste et sans cérémonial. Luce met au congélateur le chien mort avant d'enfin se rendre à l'hôpital pour y donner la vie. Emmenée sur un lit d'hôpital, Luce voit défiler les lumières du plafond (détail non sans importance plus tard). L'atmosphère est angoissante, oppressante. Pourtant, un enfant vient au monde !

 

La scène de l'accouchement est crue, sans fioritures mais sans vulgarité non plus. Rose est née. Survient alors une scène étrange mais lourde de sens : par un effet rétro, le bébé rentre dans le corps de la mère. Le ton est donné : Luce n'en veut pas, ou plutôt, est incapable de vouloir cet enfant. Ces effets rétro se répètent au cours du film et semblent avoir été voulus par la réalisateur pour mettre en scène le délire psychiatrique de la mère, en proie aux hallucinations. Certaines scènes embrayent aussi directement sur la "vision" d'un rivage crépusculaire tourmenté où l'eau apparaît telle une marée noire. Cette scène survient à divers moments du film, toujours de manière subreptice et sans aucune transition, afin de créer un effet de surprise qui ne suscite pas pour autant un sursaut. Au contraire, cette vision contribue à l'édification d'une atmosphère globale faite d'angoisse et d'inquiétude lancinantes, bref une mer (mère?) à la douceur malveillante. Cette vision peut s'interpréter comme le reflet de l'état émotionnel de Luce : dépression, angoisse, oppression, idées sombres. C'est une mer de bile noire qui scande le récit.

 

Cet état ambivalent de douceur malveillante, ou de tendresse inquiète et forcée, se retrouvera dans la relation entre Luce et Rose. Le bébé pleure et crie comme tous les bébés. Luce est en plein désarroi. Elle n'agit qu'à contresens et toujours mal à propos. Elle réveille l'enfant qui dort paisiblement, le place dans des positions inconfortables, en fait toujours beaucoup trop ou pas assez. Luce panique et perd progressivement le sens des réalités. Le trouble psychiatrique s'accentue. Elle devient folle à la limite de l'hystérie. L'aggravation de la santé mentale de Luce est mise en scène par paliers successifs, où à chaque fois, le spectateur a l'impression que Luce a surmonté ses peurs profondes pour en réalité découvrir qu'elle a plongé davantage dans cette mer de bile noire. La progression de la déchéance de Luce est donc une spirale infernale qui se termine dans la paranoïa la plus complète et le brouillage total entre réalité et imagination détraquée. Mélanie Doutey joue la "folle" à la perfection. Elle est convaincante et nous fait oublier la fiction : elle donne le frisson. Quelques exemples : elle met au coin, à même le sol sur le parquet, le bébé qui pleure en le réprimandant, elle se nettoie les seins à la Javel avant d'allaiter ou elle met un couteau de cuisine dans le maxi-cosi de Rose afin qu'elle puisse se défendre contre ceux qui voudraient l'enlever.

 

Luce est internée en hôpital psychiatrique. Les lumières du plafond défilent à toute allure. Allongée sur un lit, Luce, revit l'agitation qui précéda son accouchement. Ce jeu d'écho relie directement la naissance de l'enfant au traumatisme psychologique de la mère. Un trait d'union relie hôpital et hôpital psychiatrique, faisant de l'enfant une pathologie par excellence pour la mère.

 

Rose est placée chez sa grand-mère paternelle. C'est ici que le film perd de sa saveur. L'on pressent instinctivement que la fin n'est pas crédible et aurait gagné à être retravaillée. On ignore comment, mais Luce parvient à sortir incognito de l'hôpital et à se rendre la nuit chez sa belle-mère. Évidemment, la porte d'entrée n'était pas fermée. Elle trouve Rose dans le même lit que sa grand-mère, pratique extrêmement dangereuse pour l'enfant, interdite d'ailleurs par l'Église au Moyen Âge afin d'éviter l'étouffement et l'écrasement des nouveaux-nés. La belle-mère / grand-mère n'est peut-être pas si modèle que ça après tout? Luce s'enfuit en cavale avec Rose. L'enchaînement des scènes devient confus et le spectateur est plongé dans la paranoïa infernale de Luce. Le film devient difficilement lisible, impression probablement voulue et calculée afin de mettre en scène la perte des repères de Luce, ponctuée de retours à la réalité. Luce emporte son enfant sur le rivage pour le montrer à sa mère en train de récolter les algues sur la plage dans sa charrette. Elle lui présente son enfant.

 

Retour à la réalité : police et mari étaient partis à la recherche de Luce. Retrouvée sur le littoral, elle est sommée de s'expliquer sur la disparition de Rose. "Avec sa grand-mère" répond-elle à ses interrogateurs en montrant du regard la plage en contrebas de la falaise. Le mari s'énerve. Le spectateur apprend que la mère de Luce est morte lors de l'accouchement. L'endroit est celui de la vision de la mer noire, dorénavant claire et lumineuse mais tout aussi agitée et tourmentée, libre peut-être aussi, maintenant que Luce est "débarrassée" de son enfant ? Le sens semble plus profond : ce final peut s'interpréter comme une offrande à la mère décédée, un sacrifice rédempteur. Luce offre à sa mère l'enfant qu'elle n'a jamais pu tenir dans ses bras, son propre enfant, comme si elle devait laver la faute originelle d'avoir causé la mort de sa mère en naissant. Dans tous les cas, une fin qui s'abat tel un couperet.

 

 

II. 2. La femme et son rôle dans la société moderne

 

Réalisé par une femme et mettant en scène une femme dans son impossible maternité, le film propose une réflexion sur les rôles de femme et de mère. À cet égard, on ne sait si le film revêt une légère coloration féministe ou si, en négatif, il montre l'importance capitale du rôle de mère dans la fondation d'une famille. 

 

Traditionnellement, la procréation est un acte majeur dans la vie d'une femme. Certaines considèrent même qu'elles ne sont pas pleinement femmes tant qu'elles n'ont pas donné vie à un enfant. D'autres considèrent au contraire que l'enfantement ne doit plus être un passage obligé des femmes. Ces dernières seraient en droit de s'affranchir des contraintes biologiques. En outre, la plus grande égalité qui existe désormais entre hommes et femmes, mais aussi le succès des théories du genre tendent à brouiller les anciennes frontières. Désormais, on attend des femmes qu'elles travaillent comme les hommes, en plus généralement d'assumer davantage de tâches domestiques qu'eux. Quelle place doit alors occuper la maternité dans une société où les femmes travaillent et poursuivent leur carrière ? Leur existence n'est en effet plus strictement orientée vers la création d'une descendance. L'enfantement, avec tous les inconvénients et les douleurs qu'il comporte, doit-il encore être une "obligation" des femmes ?  Dans l'inconscient collectif, on considère la femme comme d'emblée capable d'aimer et d'élever un enfant parce que femme. C'est donc une pression sociale énorme qui pèse sur elles. Non, toutes les femmes ne sont pas capables d'avoir des enfants sur les plans psychologique et affectif. Et certaines femmes font le choix délibéré de refuser l'enfantement et / ou l'allaitement naturel. La boutade populaire, féministe et mortifère, "je ne suis quand même pas une vache à lait" retentit dans le film avec une pointe d'humour : peu après l'accouchement le couple de vétérinaires draine les seins de Luce pour remplir des biberons. La scène est ambigüe : critique-t-elle le propos féministe en le tournant en dérision ou le renforce-t-il en montrant l'avilissement de la femme ? Quoi qu'il en soit, s'agissant d'une femme en dépression post-partum, l'impossibilité ou le détournement de l'allaitement sain et naturel revêt tout son sens en-dehors d'un message pro-ou anti-féministe sous-jacent. 

 

Les rôles féminins prédominent et impulsent au film sa dynamique. Au contraire, les rôles masculins, en retrait, campent en spectateurs du drame qui se déroule sous leurs yeux. Les hommes aident, surveillent, accompagnent, s'exclament parfois, mais jamais ne posent des actes forts. Ils cèdent plutôt qu'ils ne résistent. Ulysse, le mari de Luce est passif et n'agit jamais qu'avec retard pour "réparer" les bourdes de sa femme. L'intrigue tourne en réalité autour d'un triangle féminin où le thème de la maternité est décliné. Premièrement, la belle-mère de Luce, mère protectrice et autoritaire mais bienveillante. Avec subtilité, D. Noels est parvenue à mettre en scène la rivalité classique entre belle-fille et belle-mère quant au rôle de mère. La belle-mère observe sa belle-fille, le regard inquisiteur : sera-t-elle capable d'aimer et d'élever ma petite-fille comme moi j'ai élevé mon fils ? Il faut dire qu'elle a de quoi s'inquiéter. Deuxièmement, Luce elle-même, mère en détresse. Enfin, la clé de l'intrigue : la mère de Luce, en réalité morte, mais qui apparaît bien réelle dans le délire psychiatrique de Luce. 

 

On apprend, vers la fin du film, que la mère de Luce n'a pas survécu à l'accouchement et n'a donc jamais connu la relation mère-fille. Comment dès lors pourrait-elle la reproduire avec son enfant ? Comment aussi ne pourrait-elle pas ne pas se sentir coupable de la mort de sa mère ? Luce, en naissant, a donné la mort. En donnant la vie à Rose, elle finit par lui donner la mort. La boucle du thème de la vie et de la mort, annoncée dès les premières scènes du film, se referme. Davantage que comme créatrice de vie, la femme noëllienne est donc présentée comme l'artisane de la mort.

 

III. Les liens avec les autres films de la réalisateur

 

(à suivre).

 

IV. Les personnages / acteurs 

 

(à suivre).